l'instant d'un haïku

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Introduction à l'art du haïku

Qu’est-ce que le haïku ?

Le haïku est un art poétique né au Japon à la fin du XVIIe siècle. Il s’agit d’un poème minimaliste composé – dans sa forme classique à l’occidentale – de trois fragments impairs selon le rythme court-long-court de 5/7/5 syllabes, soit 17 syllabes, avec un kigo (mot de saison) permettant de l’ancrer dans le temps et dans l’espace, et un kireji (césure) marquant un silence pendant la lecture, et ainsi, accentuant la dualité et/ou le dualisme entre les sujets ou images du texte.

De nos jours, dans un monde contemporain et multiculturel et dans un contexte cosmopolite et polymorphe, si le haïku moderne peut s’affranchir des contraintes de règles et de formes d’antan pour être encore plus bref, plus incisif, il doit néanmoins conserver, tout comme son aîné, sa sobriété, son éphémérité, son autoporteur, et surtout, son expression d’émerveillement ou moment-aha, qui représente sa principale raison d’être et qui fait de lui un poème si typique et original.

A titre d'illustration, considérons l'un des plus célèbres haïkus japonais :




vieille mare —
une grenouille plonge
bruit de l'eau

Bashô

i. Aperçu structurel :

  • En phonétique, fu/ru/i/ke ya | ka/wa/zu to/bi/ko/mu | mi/zu no o/to : 5/7/5, soit 17 mores ;
  • Kigo (mot de saison) : la grenouille, représente le kigo du printemps ;
  • Kireji (mot de coupure) : ya [—] ;
  • Kikyoo (moment-aha) : le bruit de l'eau.

ii. Scénario-type du haïku 'classique' :

  • vieille mare : situation, cadre, contexte ;
  • une grenouille plonge : action, stimulus, événement ;
  • bruit de l'eau : réaction, perception, sensation.

iii. Concepts 'canoniques' selon Bashô :

  • Sabi-Wabi (patine-sobriété) : le vieil étang ;
  • Fueki-Ryûkô (immuable-éphémère) : le vieil étang vs. la plongée de la grenouille et le bruit de l'eau.

Voici ci-dessous quelques règles pratiques, mais non-strictes, arbitrairement énumérées dans l'ordre de priorité tel que j'appréhende, et ce... dans une dimension non parfaitement définie (!) :

  • Se composer d'une manière académique de 17 syllabes — plus exactement, 17 mores — répartis en trois segments impairs 5/7/5 à quelques exceptions de la métrique avec l'apocope, l'élision, la diérèse et la synérèse ;
  • [ou bien] Se composer entre une douzaine et une vingtaine de syllabes à disposition totalement libre tel le cas du senryû (expression poétique similaire au haïku, le senryû, souvent ironique, voire cynique, ayant pour sujet les faiblesses humaines, est caractérisé par la subversion, l’implication et l’engagement de l’auteur qui fait valoir son point de vue) ;
  • Comporter un mot de saison ou un ancrage saisonnier, ainsi qu'une (seule et unique !) légère pause — de pivot ou de césure syntaxique-sémantique — séparant la composition en deux fragments distincts ;
  • Eveiller l'attention, susciter la curiosité, exprimer l'évanescence des choses avant de provoquer — moyennant la technique de l'enjambement rejet/contre-rejet — l'effet d'étincelle, i.e. l'instant d'émerveillement, le satori, l'épiphanie 'profane', la chute, le twist final, ou encore, le (fameux) moment-aha !
  • Capturer l'instant, retranscrire la spontanéité et restituer le présent — ici et maintenant ; faire preuve d'humour, d'observation et de détachement de soi vis-à-vis de ses textes en s'abstenant de toute interprétation personnelle ;
  • Décrire des événements ou activités du quotidien à travers la perception sensorielle ; évoquer des choses simples avec parcimonie dans une syntaxe sobre et élégante de manière originale et autoporteuse ;
  • Etablir une relation de juxtaposition, d'opposition ou de renforcement entre les sujets, objets ou images : les techniques du Ichibutsu-Shitate (un seul thème), du Nibutsu-Shoogeki (deux thèmes avec butée forte), ou du Tori-Awase (une combination, un arrangement, un assortiment) ; soigner la présentation de la scène comme l'est le principe de cadrage en photographie ;
  • Privilégier certains jeux de mots ou figures de style, notamment l'aposiopèse, l'hypotypose, l'ellipse, l'anacoluthe, le zeugme, le paradoxe et la parataxe ;
  • Préférer les groupes de mots ou les phrases averbales aux phrases complètes ; transgresser les règles de grammaires et de syntaxes ;
  • Limiter toute référence directe à soi-même ; faire des allusions, semer la confusion et pousser l'extrême, voire à l'absurde ;
  • Pouvoir se lire en une seule respiration et de préférence à voix haute ;
  • Eviter les rimes en raison du caractère minimaliste et monostique du haïku ;
  • [ou, au contraire] Accentuer les rimes croisées entre les premier et dernier segments, i.e. les 5e–17e syllabes, ainsi que les assonances ou allitérations à l'intérieur du segment le plus long, par exemple, les 6/7e–12e syllabes.

Photo-haïku, késako et pourquoi ?

Le photo-haïku – shashin haïku – est un art récent – d’une certaine façon, une version contemporaine de haiga (peinture-haïku) – qui consiste à combiner et juxtaposer un haïku et une photo, ou toute autre œuvre visuelle, établissant ainsi un dialogue et un jeu de non-réponses entre ces deux formes d'art. Cette nouvelle expression poétique met ainsi en exergue la dimension, l’interactivité et la complémentarité entre l’art du haïku et celui de la photographie, sans pour autant que la photo soit une simple illustration du haïku en question, ou inversement, que le haïku serve de légende à la photo associée. Chaque support doit être autosuffisant, et donc, pouvoir exister séparément l’un de l’autre, et une fois ensemble, ils doivent pouvoir se réinventer et unir leurs atouts pour passer de l’esthétique visuelle à la profondeur textuelle, et ainsi, procurer l’instant de sensation et d’émotion.




Pont du Diable —
me concentrer sur
le cercle de la vie

Minh-Triêt Pham

Et maintenant, tanka, renku, c'est quoi ?

Le tanka, forme poétique bien antérieure à celle du haïku (l'an 780 ?!), est composé – dans sa versification académique à l'occidentale – de cinq fragments alternés de 5/7/5 et 7/7 syllabes, soit en tout 31 syllabes regroupées en deux parties : la première – tercet de 17 syllabes – s'apparente au haïku, et la seconde – distique de 14 syllabes – vient renforcer et intensifier la première, une réplique en quelque sorte. Cependant, chacune des deux parties constitue un poème à part entière, et il arrive parfois que l'ordre entre le tercet et le distique soit inversé. Dans la construction du segment distique, tout est possible, tout est permis ; celui-ci peut ainsi adopter une approche factuelle et rationnelle comme le haïku, ou au contraire, subjective et empirique, voire métaphorique, sentimentale ou philosophique.

pluie d'étoiles filantes
sur la corde à linge
son jean troué
et sur la corde raide
toute sa vie

Minh-Triêt Pham

Et ci-après, la version anglaise sous la forme d'un tanka-bun, expression littéraire mêlant prose et tanka ; ce concept, dérivé du haïbun, n'est pas détaillé ici...

shooting stars shower
on the clothesline
the ripped jeans
and on the tightrope
all his life

And there, at the other end of that starry sky, after a hard day's work, lying on a palace bed in a suit and tie, he is still dealing with life of a human being and it suddenly reminds him of the little boy ... I was!

Minh-Triêt Pham

Le renku est issu du renga ; ce dernier était, comme le tanka, l’un des arts littéraires les plus nobles du Japon féodal et se caractérise par une impressionnante liste de contraintes dans la composition par un groupe de poètes participants. Ainsi le renku, tel son grand frère le renga, est un long poème, ou plutôt, une expression poétique, dit lié ; il est traditionnellement constitué d’un enchaînement de strophes de forme de tanka, i.e. 5/7/5 syllabes (tercet) puis 7/7 syllabes (distique). Aussi est-il composé par plusieurs auteurs, lesquels écrivent chacun alternativement une strophe de 17 et de 14 syllabes, autrement dit, chaque tanka du renku est écrit à deux mains.

Non linéaire et dissymétrique dans sa construction, le renku aborde des thèmes plus populaires et avec plus de liberté dans les règles que celles élaborées par le renga. Son originalité et son intérêt résident dans l’enchaînement des séquences : chaque strophe est censée de répondre à la strophe antérieure, d’une manière plus ou moins empirique, ou au contraire, factuelle et rationnelle, moyennant les différents types de relations : juxtaposition (rouge / noir), opposition (ombre / lumière), renforcement (ruines / poussières), association (noir / tristesse), parallélisme (voyage / photo), etc. ou parfois, des jeux de mots.

L’art du renku pourrait être comparé à une partie d’échecs où chaque coup est dépendant du précédent et n’est en aucun cas le fruit du hasard ! Le renku de mes ouvrages, en collaboration avec la haïjin Christiane Haen-Ranieri, se veut de style sobre et contemporain, plus axé sur le fond que la forme et est dépourvu de contraintes si ce n’est que celle de l’enchaînement rigoureux et cohérent des strophes au fil des événements.

...

colline de Montmartre
le saint patron de la France *
la tête sous le bras
(*) Saint-Denis, premier évêque de Paris

au pied de la basilique
se faire tirer le portrait

bar en terrasse
prendre un Paris Cola
et un coup de soleil

lécher le sorbet passion
de la serveuse pulpeuse

plus glamour que jamais
l’icône de la cité
Sainte-Geneviève

derrière la p’tite bergère
nul mouton mais des touristes

lycée Henri-IV
déambuler dans le cloître
et s’échapper du monde

du monastère à l’école
domus omnibus una *
(*) devise du lycée Henri-IV : " une maison pour tous "

...

Minh-Triêt Pham & Christiane Haen-Ranieri
extrait de " Paris, ma romance " (éd. Unicité, 2018)
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