Rome, l'instant éternel

Rome, l'instant éternel, Unicité 2025

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La cité de Rome a l’éternité pour elle ; et le haïku, l’instant, quelque part entre étendue historique et fulgurance poétique.

Quand l’image saisit le présent et le poème lui prête une voix – ou deux, celles des haïjins –, quelque chose d’intime se révèle – un dialogue discret au travers du regard et des mots.

Minh-Triêt Pham nous en offre ici une nouvelle preuve, en duo avec Cécile Marchal, tout au long de ce recueil bilingue de photo-renku. Ensemble, à quatre mains, ils tissent un voyage initiatique au cœur de la Ville Éternelle, et rythment les séquences, articulées autour de photographies prises sur le vif.

Chaque cliché porte en lui une charge contemplative et émotionnelle, que le poème vient prolonger, éclairer, parfois chahuter. Il en résulte une filature délicate entre lieux visités, sensations vécues et visions partagées.

Comment ne pas être subjugué par la beauté immarcescible de Rome, fondée selon la légende par les jumeaux Romulus et Rémus ? Ici et là, les strophes résonnent avec les pierres et les matières, tandis que les clichés se transforment en mémoire sensible :

Colisée de nuit
et ce bonhomme aux faux airs
de Russell Crowe

Rome, la ville éternelle et moi
qui croyais en tes serments

Les auteurs composent en écho : pas de démarcation nette, pas de signature visible. Les textes s’harmonisent si bien qu’on devine plus qu’on ne distingue l’identité de chacun. Seule certitude : leur double voix, à l’unisson dans une écriture fusionnelle. Les prises de vue deviennent des points d’ancrage, et les joutes verbales des variations sur l’observation et l’émerveillement.

Minh-Triêt Pham, dont j’ai pu découvrir la plume inspirée à l’occasion d’un Festival Quartier du Livre au beau milieu du quartier Latin à Paris, tous deux auteurs des éditions Unicité ; Minh, l’infatigable arpenteur du monde, capte l’invisible dans le visible. Avec son acolyte, ils prêtent un esprit à l’histoire et une quintessence à la matière. Lamartine l’avait pressenti :

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Tel un déclic d’appareil photo, chaque image et chaque impression déclenchent une suite de tankas. Patrimoine, monuments, graffitis, mets ou verres de vin : tout devient sujet à création.

Ici, nul vocable abscons, nulle description rébarbative. Le style est clair et limpide, concis et précis, sans excès ni obscurité. Comme le recommandait Boileau :

« Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. »

Nuit pluvieuse à la Basilique Saint-Pierre de Rome. Tout illuminé et enluminé, le lieu de sainteté inaugure le photo-renku :

San Pietro in Vaticano
des SDF somnolent
sous le porche

sur le macadam mouillé
glisser dans la perdition

Dans l’appellation d’origine des lieux se mêlent odeurs, couleurs, souvenirs. L’humour affleure parfois ; la tendresse, souvent. Rome s’y montre à la fois antique et contemporaine, sensuelle et sacrée, majestueuse et humaine. 

Au fil des 288 pages, les deux haïjins nous emportent dans une flânerie immobile, mais ardente et vibrante. De jour comme de nuit, par temps sec et par temps humide, à travers des ruelles, des fontaines, des vestiges, des films, des mythes, des saveurs et des éléments cosmiques : terre, air, eau, feu. Entre Ostia Antica et Fontana di Trevi, entre César et Le Bernin, entre allégresse et mélancolie, c’est une balade lyrique, sensorielle et interactive. Le recueil s’achève comme un souffle, sur un « crépuscule d’automne ». Et l’on referme ce livre comme on quitterait un lieu que l'on aime, avec un peu de Rome en soi.

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Préface de Maggy De Coster
Journaliste, poétesse
et directrice de la revue littéraire du Manoir des Poètes