Chronique d'un confinement

Chronique d'un confinement, Unicité 2022

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Que faire alors que l’on est confiné, enfermé, interné, séquestré, claustré, emprisonné, écroué, embastillé… ? Prendre sa plume légère, la tremper dans l’encre claire et en quelques mots fuir d’une feuille de papier à une autre sans que cela se voie, ou presque. Tel est le plaisir ou la réflexion que nous offre Minh-Triết Phạm en haïkus, trois simples lignes tantôt piquantes, tantôt douces.

Dès le premier poème, le lecteur se laisse emporter et, comme l’auteur, boit trois « vers » pétillants :

Corona –
je l’attrape
et je la bois

Le titre de ce recueil de haïkus, Chronique d’un confinement, invite les lecteurs à reprendre leur calendrier et, comme le poète, à revivre des moments si proches et si difficiles à croire que l’on se demande si l’on a rêvé ou fait un cauchemar. Selon les événements et les humeurs du haïjin, les jours passent sans que l’on trépasse, et tantôt l’on se reconnait dans le miroir des mots, tantôt l’on découvre un autre moi que l’on ignorait avant la Covid-19.

Minh-Triết Phạm se livre à un art du haïku contemporain à l’occidentale, s’affranchissant ainsi de certaines règles et formes classiques japonaises pour être encore plus concis, plus incisif. Ce qui nous séduit et demeure essentiel, c’est la chute de ses textes, le moment-aha, essence intrinsèque du haïku, qui révèle en fait, chose rare, la personnalité de l’auteur et nous offre parfois une note de plaisir et ensuite un désenchantement. Alors que nous rêvons d’un passé revenu, il écrit :

déconfinement –
l’angoisse d’un retour
à l’anormale

Mais, comme souvent dans les littératures des pays asiatiques, en particulier de l’Inde, la Chine et le Japon, la sagesse s’infiltre et vient nous rappeler ce que nous sommes, chose que l’Occident tend à oublier. Ainsi, peu après cet instant de découragement, l’auteur se redresse et redevient maître de lui-même jusqu’à l’audace ou la provocation :

liberté retrouvée –
à la plage
et à poil

N’oublions pas que lorsqu’il ne manie pas la plume, notre poète, ainsi qu’il le montre dans certaines des photographies qui décorent cet ouvrage, est aussi un maître en arts martiaux.

Il est un dernier point qui donne à ce recueil un caractère singulier car rares sont les auteurs qui, dans leurs ouvrages, se confient avec une franchise et une honnêteté sans retenue comme dans le poème qui suit :

éloignement –
se mettre
au tantrisme

Ce que nous avons devant nous, ce sont des pages qui s’inscriront différemment dans les livres d’histoire, mais ce n’est pas ce que recherche le haïjin qui reste dans le temps présent au point de se demander si la vie est un spectacle, « un grand Muppet Show ». À cet instant je le soupçonne, car il a traduit pour ce recueil ses haïkus en anglais, d’avoir songé au Barde de Stratford et à sa tirade si souvent répétée :

« Le monde entier est un théâtre,
et tous les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ;
ils ont leurs sorties et leurs entrées… » *

(*) William Shakespeare, Comme il vous plaira, acte II, scène vii, vers 139-141.

Eh bien efforçons-nous de dire, comme le poète, que nous avons vécu ou vivons encore une tragi-comédie et que les acteurs que nous sommes sont des augustes ou des clowns blancs, les uns gais et les autres tristes. Alors, malgré tout, efforçons-nous de rire avec l’auteur.

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Préface de Jean-François Sené
Agrégé de l’Université, écrivain et traducteur.
Chevalier des Palmes Académiques.




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Dernière page. Avons-nous fait le tour du livre ou le tour de nous-même ? Minh-Triết Phạm se pose régulièrement la question. Dans un autre de ses ouvrages *, il suggère (déjà) cette introspection :

cloître —
faire un tour du puits
et un tour sur soi

Cette Chronique d’un confinement, ouverte sur le pétillement d’une bonne bière se referme dans le feu d’artifice d’un bon cognac. Cela paraît simple. Et pourtant, faire le tour de soi n’est pas si simple. Le chemin parcouru lors du confinement a subi tours et détours. Il est passé par l’humour, la dérision, la colère, l’émerveillement, la résignation, la tendresse, l’amour, le sexe. Il a semblé long, chaotique, évident. Qu’en reste-t-il et où en est-on après avoir tourné cette dernière page ?

Nous sortons du confinement avec un gros sac, prêts à reprendre la route. Nous emportons avec nous le livre de Minh-Triết et tout ce qui a fait notre amertume et notre délice en reconnaissant notre propre vie dans ces lignes. Des sentiments multiples et contradictoires ont imprimé en nous une trace indélébile. Nous n’en sortons pas indemnes.

Masque sur le nez et privés d’embrassades, nous sourions en sortant de notre sac les nouveaux modes d’emploi.

Lire et relire ces textes courts, hachés, vivants, drôles, émouvants nous aide à tracer notre chemin : faire d’une pierre deux coups dans la chambre, ne pas attendre une nouvelle quarantaine pour que ma guitare continue à hurler, ne pas oublier de méditer sur le souffle de la vie, penser à dire à ma voisine que pour se rendre au télé-travail on peut y aller à vélo d’appartement, ne pas avoir peur d’un trou béant dans mon CV.

Le déconfinement, aussi, a du bon. Je peux multiplier l’envol d’un avion en papier et partir dans un rêve de liberté. À nouveau, la fenêtre s’ouvre sur un autre monde et à travers le vacarme revenu, j’arrive maintenant à distinguer tous ces chants d’oiseaux jamais entendus avant le confinement. Je n’ai plus peur de perdre mes repères. Je ne dirai plus jamais que j’ai égaré mon ombre ni qu’est étendue devant moi l’ombre d’un doute. J’ai laissé le reflet de mon ego à la porte et ma solitude ne sera plus jamais la même.

Parfois plaisantes, parfois dramatiques, les conséquences du confinement ont été multiples sur le monde et les êtres qui nous entourent. Mais le chemin est devant nous pour de nouveaux voyages.

Minh-Triết sait nous emmener avec art, au cœur de nous-mêmes comme dans de grandioses paysages. Je suis sûre que le déconfinement et ce nouveau chemin ne pourront que l’inspirer.

(*) Rhin romantique, croisière en haïkus, Unicité 2020

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Postface de Christiane Angibous-Esnault
Auteur jeunesse, poète et photographe.
Créatrice du Salon des Muses.




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Ne boudez pas ces haïkus intelligents et sensibles, tout à la fois modernes et reliés à la tradition qui restituent ce temps suspendu que nous avons vécu par de petits éclats poétiques, ironiques, politiques, extrêmement personnels quoiqu'universels.

Chaque tercet saisit la sidération dans laquelle cette situation insolite ne cessait de nous plonger. L'humour est distillé avec acuité et l'absurdité de certains interdits mis en relief avec drôlerie ; de même le frisson d'effroi face à la mort, à l'esseulement, à la misère sociale ne sont perceptibles qu'à dose homéopathique par élégance et décence.

dans mon assiette de spaghetti
la complexité
de la situation

Le poète agrémente ses textes de photos qui pour la plupart le montrent s'exerçant aux arts martiaux. Cette exposition d'apparence narcissique est un contrepoint esthétique, d'un grand dynamisme, plutôt distancé symbolisant la lutte.

Le poète capte les petites joies, les moments de grâce et les angoisses de la solitude. Il joue avec les mots, crée des contrepèteries, des mots à double sens, des juxtapositions audacieuses, de délicieux zeugmas.

ondées printanières
à terre le verre vide
et le moral

fermeture des restos
me contenter d'un bar
meunière

Les saynètes évoquent le sport, les repas, les boissons, la musique, les actualités, son chat, ses fantasmes et frustrations sexuelles. Le poète reprend la tradition du haïku irrévérencieux. L'Asie et la France s'unissent en un mélange lexical savoureux.

À qui cette période étrange, vécue comme un cauchemar ou comme quelque chose d'irréel, retracée avec tant de saveur, de force poétique et critique ne parlerait-elle pas ? Chronique d'un confinement, en français comme en anglais est une lecture riche d'enseignements sur soi et sur notre société.

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Dominique Zinenberg
Poésie première, revue poétique et littéraire, N°80




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Chronique d'un confinement est un recueil de Haïkus et Senryûs écrit en français et traduit en anglais par l'auteur lui-même. À ce chapelet de tercets s'ajoutent des photos prises par le poète : elles le mettent très souvent en scène dans sa pratique des Arts martiaux, elles le montrent facétieux, forcément narcissique puisqu'il est seul lors de ce confinement, mais surtout ironique et combatif. Certaines photos captent un moment de la vie quotidienne dans sa trivialité la plus évidente.

Les Haïkus tiennent du journal intime. Ils sont venus dès les premiers jours du premier confinement et ne se terminent qu'après le 14 juillet. Le poète pendant cette période est traversé par tous les sentiments, toutes les émotions qui nous ont traversés nous aussi et toute personne qui lit ces pépites d'intelligence et de malice, de pure poésie et délicatesse aussi, retrouve instantanément ce temps suspendu – ce réel – auquel nous avons été confrontés.

Chaque tercet capte un aspect de la réalité de ces journées singulières et saisit la sidération dans laquelle cette situation insolite n'a cessé de nous plonger. L'humour et l'autodérision sont distillés avec tact. L'absurdité de certaines mesures est discrètement soulignée. Et c'est à dose homéopathique que l'effroi face à la mort, le vertige de la solitude, les misères sociales sont suggérées. Elégance et décence obligent !

dans mon assiette de spaghetti
la complexité
de la situation

Si le poète capte les petites joies, les moments de grâce, il ne tait pas non plus les angoisses et les misères de la solitude. Au jour le jour il en souffre et la tient à distance avec plus d'ironie que de résignation. Il trouve pour déjouer les pièges de l'isolement le jeu avec les mots, la création de contrepèteries, de juxtapositions audacieuses, de délicieux zeugmas.

ondées printanières
à terre le verre vide
et le moral

fermeture des restos
me contenter d'un bar
meunière

Peu à peu le quotidien du poète se dessine par petites touches intimes. Le chat joue un rôle important dans le dispositif pratique et poétique :

isolement social
un chat
par balcon

Le chat réalise avec naturel ce que le poète fantasme de faire, et déplore en creux de ne pas être autorisé à faire :

fi du confinement
à la recherche d'une partenaire
le chat de gouttière

Minh-Triết Phạm trouve mille façons de décliner le sentiment de solitude. Il le fera avec le mot « ombre » à plusieurs reprises dont voici un exemple :

seul
mon ombre boit
l'ombre de mon thé

Il le fera très souvent en évoquant la boisson :

déjeuner sur l'herbe
l'amour toujours
mais plus de saint-amour

Toutes sortes de boissons : thé, café, rhum, tequila, Guinness, absinthe, bière, kir royal, whiskies... une aide à supporter la solitude pimentée d'humour.

séquestration
voyage au centre
de la cave à vin

Le recours amusé au voyage immobile est récurrent aussi dans ce parcours du confinement. Ainsi évoque-t-il le vélo électrique pour se rendre au télétravail, la visio pour se rendre à un enterrement, la souris de l'ordi qui distraie le chat comme si le poète était en vacances dans un campement. Les sorties imaginaires que s'invente le poète créent le juste décalage d'échappée belle poétique que cette vie rétrécie de confiné aurait pu rendre sordide.

soir d'internement
faire un tour du lit
et d'horizon

Qu'il se moque de lui-même faisant du sport (« zazen / sur ma main / le poids d'un moustique » ou « coupe au sabre / manquer le frelon / mais frôler la mouche »), ou qu'il mette de la dérision dans certaines situations évoquées au fil des événements (« Festival de Cannes / dérouler le tapis rose / de papier toilette »), le poète interprète avec brio les actualités politiques, économiques de la période. Rien n'échappe à l'acuité malicieuse de son regard :

premier mai
fête
du télétravail

du gel hydroalcoolique
au gaz lacrymogène
émeutes urbaines

Par ailleurs le poète joue avec les codes français comme avec ceux de la culture asiatique dans le sport bien sûr, mais avec la cuisine, tantôt européenne, tantôt vietnamienne qu'il évoque à intervalles réguliers « maroilles / la saveur confinée / de ma collation » ; « récession économique / mon phô / toujours bien garni »

En filigrane, le poète livre un peu de sa vie privée : son esseulement pendant le confinement, une histoire d'amour compliquée (« comme son boulot / célibataire / à mi-temps »), l'existence d'un fils : « déconfinement / la vie reprend son cours / et mon fils ses cours » ; des difficultés financières : « n'ont pas / la covid / les factures » et une allusion à son activité de poète : « soirée-lecture / du Rhin à la Lucarne / la croisière des retrouvailles ».

L'angoisse affleure parfois, recouverte par la pudeur de l'humour. L'art du Haïku est maîtrisé, dans l'irrévérence et la malice comme dans la plus délicate poésie.

Goûtons donc à ce pur bonheur de lecture !

des victimes par milliers
méditer
sur le souffle de la vie

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Dominique Zinenberg
Voix, revue littéraire et artistique, N°6 - Automne 2021




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Volumineux ouvrage paru aux éditions Unicité, Chronique d’un confinement, de Minh-Triêt Pham, rend compte d’une période qui a semblé interminable. Le recueil de haïkus et senryûs, traduit en anglais par l’auteur, est émaillé de nombreuses photos, notamment des portraits du poète, l’époque étant propice à la culture d’un certain narcissisme. Le moi qui est ordinairement confronté au monde extérieur retourne à son for intérieur…

Comme beaucoup de confinés disséminés dans le vaste monde, Minh-Triêt Pham pratique le sport. Arts martiaux, mais aussi guitare électrique et jeux de société scandent le quotidien de l’homme reclus. Dans sa préface, Jean-François Sené va énumérer les adjectifs qui évoquent la situation de l’individu confiné, enfermé, interné, séquestré, claustré, emprisonné, écroué, embastillé. Le vécu du poète entre en résonance avec une expérience universellement partagée :

Covid-19
le monde contaminé
par la peur

Mais l’humour ne perd jamais ses droits ; sont évoqués la journée en pyjama, l’alcool pour noyer le spleen, l’omniprésence d’internet :

confinement —
le marketing viral
des sites de rencontre

Dans sa postface, Christiane Angibous-Esnault souligne que pour se rendre au télétravail on peut y aller à vélo d’appartement : plaisante allusion à nos déplacements virtuels, voire à une « télé-portation » imaginaire ! La réflexion poétique prend parfois un tour politique. Dans une France à l’arrêt, seul le gouvernement reste « en marche », seules les forces de l’ordre sont à l’air libre :

100.000 policiers
pour le confinement
… et moi et moi et moi

Seule l’ombre du migrant franchit la ligne frontalière, et le Premier Mai, nul ne défile. En temps de guerre, la bassesse humaine se réveille et se révèle :

délation —
sur l’épouvantail
un rassemblement de corbeaux

Dans la poignante solitude, les animaux domestiques demeurent les uniques compagnons. Les sens s’aiguisent, la gent ailée, les batraciens se font soudain entendre. La mobilité des écrans compense l’immobilité de nos vies :

interdiction de sorties —
une escapade
via un reportage-télé

Tour à tour émouvante, drôle ou grinçante, la poésie de Minh Triêt Pham ne laisse pas indifférent. Elle témoigne d’une traversée du désert social ponctuée par les applaudissements aux soignants, de la restriction des libertés, de l’attention accrue au voisinage, de la nostalgie du bonheur perdu :

main dans la main —
le souvenir
d’un autre monde

La pensée de la mort s’impose, lancinante :

des victimes par milliers
méditer
sur le souffle de la vie

L’auteur colle à l’actualité ; la sortie du confinement permet soirées lectures et retour des émeutes urbaines…

Les livres et l’art sont venus au secours des isolés, des détenus provisoires, des incarcérés sans mandat de dépôt que nous sommes devenus. L’hibernation prolongée a incité à se plonger dans les œuvres fondamentales, celles qui nous tiennent éveillés et peuplent nos sommeils de rêves fantastiques :

au milieu des contes
des 1001 Nuits…
s’endormir

La musique n’est pas oubliée :

Boléro de Ravel en confinement —
mon engourdissement
supportable

La répétition d’un même motif, envoûtant, semble idéale pour accompagner des vies condamnées à une routine pour une période d’abord indéfinie. La pratique de l’origami ponctue le temps suspendu, d’une façon très originale, le papier plié est à l’image des fléaux qui s’abattent sur l’humanité :

origami —
les actus du jour
me tordent les tripes

L’époque du confinement laissera des traces. Toujours dans mon Facebook / mon ami défunt, écrit Minh-Triêt Pham.

Il s’agit d’une histoire commune et singulière, d’une série d’instantanés qui croquent un autoportrait de maître en arts martiaux, propre à raviver nos souvenirs personnels d’un passé tout proche. Chronique d’un confinement s’inscrira durablement dans notre mémoire collective.

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