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Minh-Triết Phạm consacre ce nouveau recueil au reflet, et, dans une moindre mesure, à l’ombre, qui posent tous les deux, en creux, les thèmes de la communication, ou de la solitude, de l’essence des êtres, de soi et de l’autre.
Ces thèmes classiques de la poésie sont là revisités par un poète contemporain qui utilise la photographie, internet, qui prend le TGV, les avions de ligne.
Le reflet est une lumière de seconde portée, renvoyée par un obstacle, comme l’écho pour le son...
Le reflet n’a pas d’yeux pour nous voir.
Dans l’ombre, incognito, on peut regarder le reflet de quelqu’un sans être vu, sans entrer en communication par le regard ou la parole avec la personne réelle et présente.
Comme si dans la communication, imparfaite par nature, il restait toujours quelque chose d’inconnu, à découvrir.
L’auteur a l’art de percevoir les images réfléchies par toutes sortes de surfaces. Parfois, c’est un vrai miroir, une vitre ou une vitrine. Mais ce peut-être aussi des lunettes ou bien, plus surprenant, des yeux :
crépuscule marin —
la barque s’éloigne
dans ses yeux sombres
D’autre fois, l’auteur saisit les images sur la surface de l’eau, comme celle d’un lac, d’un vieil étang, mais aussi d’une flaque, d’une piscine, ou bien tout simplement, sur le sol mouillé :
giboulée —
pédaler
dans les nuages
quand ce n’est pas, dans une tout autre dimension, sur la surface du potage dans un bol, ou du café dans une tasse.
Parfois, plus rarement, le poète scrute l’ombre, cette autre apparence des êtres, et des objets. Leur silhouette, qui non pas renvoie mais capte la lumière d’un soleil, de la lune ou d’une lampe, laisse une ombre qui distille un secret, un mystère...
Ce peut être au travail :
vidéoprojecteur —
les collègues européens
en ombre chinoise
ou en voyage :
au large de l’océan
surfe sur les vagues
l’ombre de l’avion
Au fil du recueil, la présence des êtres est par ailleurs suggérée par des traces laissées. Le poète parle alors de la buée d’un baiser, des couleurs du papillon qui « s’échappe », de l’arc-en-ciel qui « disparaît », du sillage d’un sourire, de l’empreinte d’un regard, de bulles de savon :
si fragile
le monde qui m’entoure...
bulles de savon
Ces traces fragiles donnent à ressentir l’évanescence de la vie, dans une réalité qui elle-même à certains moments se « floute » dans la bruine, le brouillard.
Le lecteur est aussi entraîné dans des glissements, par transpositions : passant de la transparence de la brise marine à celle des ailes de libellules, du jaune d’œuf au soleil ; la femme nue se révèle être un simple décor au fond d’un verre à saké :
savourer
la femme nue
dans mon saké
et les poissons dans les douves sont perçus comme les réminiscences des assaillants d’une autre époque.
Minh-Triết Phạm, qui capte ici les reflets, utilise aussi un reflex. Sur son site, on découvre un infatigable visiteur et un photographe prolixe. On est étonné non seulement par la beauté mais aussi par la quantité de ses prises de vue...
Les lieux cités dans les poèmes, parfois photographiés, peuvent être des clichés incontournables : Amsterdam et son quartier rouge, la Loreley, le mont Saint-Michel, Paris by night avec la tour Eiffel, la cathédrale de Strasbourg, la Joconde au Louvre...
Mais l’auteur a beau « flasher » le plus beau sourire du monde, il a conscience que quelque chose lui échappe :
brouillard hivernal —
perdu dans la jungle
d’internet
Il confie ailleurs : … je ne reconnais plus personne, même pas mon ombre,
ou encore : … mon reflet me nargue.
Et il est fasciné par la canne blanche :
mon regard
suit la canne
du non-voyant
C’est qu’il reste lui aussi aveugle à sa façon.
Même avec un télescope géant : la nébuleuse (reste) à peine perceptible...
Les zèbres du zoo sont des codes à barres, une identité dont la signification échappe.
Sur les photos, les légendes en braille font penser à un message caché, à décoder.
Sur chaque page, les haïkus sont présentés en plusieurs langues, comme en un lieu cosmopolite. Ailleurs, il est aussi question de morse.
L’auteur interroge son rapport au monde, et cherche un autre langage, plus universel. Or, ce langage, c’est la poésie.
Les haïkus de Minh-Triết Phạm, sobres et percutants, s’appuient sur de forts contrastes :
seul
j’offre un thé blanc
à mon ombre
Si on trouve déjà dans la poésie classique chinoise et japonaise l’idée d’offrir un thé à son ombre, le contraste du thé « blanc » avec le noir de l’ombre est étonnant.
De même, le rouge du braille contraste fortement avec le noir et blanc des photos.
Souvent aussi, ses haïkus présentent une chute inattendue qui redonne un sens différent à l’ensemble :
agence immobilière —
dans la vitrine le reflet
d’un SDF
voire une chute implacable d’ironie :
quartier rouge d’Amsterdam —
dans la vitrine elle attend
son prince charmant
En effet, ici, ce sont les haïkus qui, en quelques mots et sans discours logique, fixent la réalité et relient ce qui est séparé.
Voici un haïku exemplaire qui noue miraculeusement des époques et des lieux éloignés :
photo noir et blanc —
mon père
plus jeune que moi
ou cet autre :
dans le bol de phở —
un bout de cielr
lointain
Ce n’est pas seulement l’immense ciel d’ici qui se reflète dans le bol, mais le ciel d’un autre pays, celui de l’enfance, très lointain : le pays du phở.
Avec la poésie, le poète peut tout lier : le ciel et la mer avec l’ombre de l’avion, le rouge du couchant et les coquillages sur le sable :
marée basse —
déteint le soleil couchant
sur les coquillages
ou les insectes et les astres :
nuit à la campagne —
les lucioles envoient aux étoiles
des messages en morse
Par ses haïkus – et par ses photos – Minh-Triết Phạm fixe et relie ses expériences décousues du monde. Comme les prises d’une course de varappe, ou à la manière des racines adventives du lierre qui s’enracinent ici et là, les haïkus assurent, dans le temps et l’espace, son avancée dans la vie éphémère et mystérieuse.
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Postface de Monique Leroux-Serres
Éducatrice spécialisée et professeur de lettres.
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Présentation et lecture à la RGC - Radio Grand Ciel, Diocèse de Chartres 📻
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Christophe Jubien
Émission " La Pierre à Encre ", Décembre 2016
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Recensions des élèves membres du Jury du Prix Heather Dohollau 2018 📖
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Lydia Padellec
Festival Trouées poétiques, Port-Louis et Riantec
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Le titre de ce livre, sur 3 lignes et 3 langues constitue dès l’entrée une sorte de haïku miraculeux où la langue d’origine, le vietnamien, se reflète à travers la surface de la langue française en langue internationale, la langue anglaise. Le titre se trouve complété par une photo en noir et blanc de ce qui semble être un petit temple éclairé au Vietnam et de son reflet à travers la surface d’une eau noire immobile. Pour brouiller les reflets ou les multiplier, dessinés en points rouges sur le ciel de la photo, une inscription en braille dont on imagine qu’elle signifie les trois titres en trois langues au-dessus de l’image, inscription sans relief qui serait illisible pour un.e aveugle comme il l’est pour un.e voyant.e. Nous entrons dans un livre d’exception, autant par la ligne inflexible de son thème, que par sa composition soigneusement élaborée, et par chacun des haïkus que l’on peut lire en vietnamien, français, anglais, et qu’on ne peut lire sur le dessin rouge en braille inscrit sur les photos noir et blanc. Un grand objet d’art ! On entre dans les pages blanches d’un livre - sans titre - sur un haïku qui porte toute la thématique taoïste/bouddhiste du monde-illusion :
la bruine de printemps
si fine
inonde mon rêve
Ce poème fait penser au rêveur de papillon ou au papillon rêveur évoqué par le taoïste chinois Tchouang-Tseu dans ses écrits du 4° siècle av. JC... ainsi que le dernier poème du livre, plus explicite encore :
si fragile
le monde qui m’entoure…
bulles de savon
Le lecteur s’embarque ainsi dans une lecture étrangement troublée par un auteur qui est lui-même, par émigration, pris entre deux mondes presqu’impossibles à concilier, si ce n’est, comme le souligne en postface Monique Leroux-Serres, par la poésie, par la magnifique composition de ce livre.
retour au pays ―
je ne reconnais plus personne
même pas mon ombre
Les mots de saison, quand ils existent, mènent le lecteur du matin (de printemps ou d’hiver) jusqu’au déclin du jour – « crépuscule d’automne », « soleil couchant », « nuit sans lune » ou « pleine lune ». Chaque poème décline, d’une manière différente, le thème du reflet, du réel et de son image, du double, de la division avec une grande originalité.
hublot ―
ma tête noyée
dans les nuages
d’une paire de seins
à une autre…
les essuie-glaces
pluie sur la station-service ―
coulent dans l’égout
des arcs-en-ciel
Il faut, je crois, ménager une place singulière à une variation sur le furuike ya de Bashô :
vieil étang ―
mon reflet
me nargue
où la grenouille a été effacée par le reflet de l’auteur, qui se joue de lui. Minh-Triêt Pham vit des questions d’identité qui ont traversé aussi l’esprit de Bashô, relativement à la pratique de l’écriture :
prime cerisier
donne-moi un hokku
qui n’ait pas mon visage
Dans le poème de Minh Triêt, la transtextualisation furuike ya / vieil étang vient évoquer un autre type de reflet, celui entre auteur et lecteur vis-à-vis du (même) texte – reflet qui n’est pas explicitement abordé par l’auteur dans ses poèmes.
L’objet d’exception qu’est ce livre s’est mérité une attentive postface de Monique Leroux-Serres qui analyse de façon détaillée les reflets évoqués dans ces pages, ainsi qu’une 4ème de couverture de l’éditeur qui souligne la volonté d’ouvrir le haïku, par l’expression visuelle du braille, à une autre dimension.
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Jean Antonini
Gong, revue francophone de haïku, N°53 Octobre-Décembre 2016
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Pour échapper à la grisaille, il suffit parfois de changer de regard sur ce qui nous entoure. C’est ce que propose Minh-Triết Phạm dans « Reflet aveugle » (Unicité). A travers haïkus et quelques haïshas, sa plume s’attache à appréhender le monde sous des prismes différents, qu’il s’agisse de reflets (dans des miroirs, des vitrines, des lunettes, des flaques d’eau …), d’ombres ou d’angles singuliers de la réalité des êtres et des choses. Un recueil fort réussi, bien de son temps, truffé de surprises (ah, les chutes en L3 !) et de cet humour que j’aime.
Quelques « regards » parmi mes (nombreux) préférés :
sur les lunettes...
tout aussi douce
la buée de son baiser
matin d’hiver ―
le soleil se réfugie dans
mon œuf à la coque
d’une paire de seins
à une autre...
les essuie-glaces
crépuscule marin ―
la barque s’éloigne
dans ses yeux sombres
contemplant seule
le crépuscule d’automne...
son ombre
yeux dans les yeux...
tenter de lire les pensées
du pitbull
sur la vitre du train...
l’empreinte
de son regard
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Michèle Lila Harmand
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